Chapitre 42

 

Richard et Verna chevauchaient dans un tunnel de végétation humide et froid. La frondaison laissait filtrer une chiche lumière à peine suffisante pour qu’ils repèrent leur chemin sur la pente douce qu’ils gravissaient. Dans le lointain, des flûtes jouaient une musique lancinante – un autre moyen de se guider dans ces entrelacements d’arbres et de buissons.

Des deux côtés, les murs conçus pour contenir la nature avaient perdu la bataille. Submergés par les plantes grimpantes, ils disparaissaient en plus d’un endroit. Délogées par des lianes particulièrement virulentes, des pierres jaillissaient de la surface comme des boursouflures. Emprisonnées dans un réseau de vrilles, elles n’étaient pourtant pas tombées sur le sol. Un spectacle étrange : un gibier minéral lentement digéré par un énorme prédateur végétal…

Les crânes humains disposés à trois pieds d’intervalle au sommet des murs, chacun reposant sur un nid de mousse, avaient résisté à la voracité de la forêt. Leurs orbites vides rivées sur les voyageurs, ces reliques humaines affichaient l’éternel sourire des têtes de mort. Depuis un moment, le Sourcier avait renoncé à les compter.

Malgré les questions qui tourbillonnaient dans son esprit, et l’angoisse qui lui nouait les entrailles, le jeune homme se murait dans son silence. Depuis leur dernière dispute, Verna et lui n’avaient plus échangé un mot. Et Richard ne dormait même plus près du feu. Après avoir monté la garde, et chassé avec Gratch, il s’étendait avec le garn, qu’il jugeait de bien meilleure compagnie. Verna lui battait froid et il n’avait aucune intention, cette fois, de faire le premier pas…

La piste sortit enfin de la foret . S’élargissant pour devenir une route, elle contournait, au loin, une pyramide dont les murs semblaient… striés. Richard plissa les yeux pour voir ce qui donnait cette impression. Des bandes de couleurs différentes alternaient jusqu’au sommet. Brun pâle, comme en pointillés, puis nettement plus sombres…

Quand ils furent plus près, le Sourcier constata que l’édifice se composait exclusivement d’ossements humains. Les « pointillés » étaient des crânes et les bandes plus sombres des tibias ou des humérus disposés en couches longitudinales. Considérant la hauteur de la pyramide, Richard estima qu’il y avait là des dizaines de milliers de crânes. En passant, il laissa son regard s’attarder sur l’étrange monument, auquel Verna ne daigna pas jeter un coup d’œil.

Au-delà de la pyramide, la route conduisait à la place principale d’une ville enveloppée de brume. Ce plateau avait été soigneusement déboisé, comme les champs en terrasse qu’ils avaient longés moins d’une heure plus tôt.

La terre fraîchement retournée dans l’attente des semailles, des épouvantails décourageaient les oiseaux de venir s’aventurer dans les sillons. On était en plein hiver, et ces gens se préparaient à semer. Une énigme de plus pour Richard…

La ville elle-même semblait aussi sombre et oppressante que la forêt. Pressés les uns contre les autres, ses bâtiments carrés aux toits plats et aux façades couleur écorce comptaient fort peu de fenêtres – jamais plus d’une par mur ! Les hauteurs variaient, avec un maximum de quatre niveaux. À part ça, toutes les structures se ressemblaient : même architecture, même absence d’ornements, même couleur…

La brume et la fumée des cheminées obscurcissaient le ciel et obstruaient l’horizon. La place, avec son puits central, était le seul espace vide visible. Elle donnait sur une myriade de ruelles obscures qui s’enfonçaient entre les bâtiments – des tunnels plus que des rues, car beaucoup de maisons les enjambaient. Si quelques-unes étaient pavées, la majorité, en terre battue, étaient sillonnées de ruisselets d’eau croupie.

Des hommes et des femmes en vêtements de toile grossière marchaient pieds nus dans la gadoue. D’autres, sur le seuil de leur demeure, conversaient à voix basse en jetant des regards furtifs aux étrangers.

Quand Verna et Richard s’engagèrent dans une des ruelles, personne ne leur adressa la parole, les femmes qui portaient des cruches d’eau sur la tête – tenues d’une seule main – se contentant de frôler les murs pour laisser assez de place aux chevaux. Elles ne se montrèrent pas plus loquaces que les autres et ne levèrent pas les yeux pour étudier les nouveaux venus.

Quelques hommes très âgés affublés d’étranges chapeaux plats sombres, sans bord et zébrés de lignes de couleurs vives – qu’on eût dit tracées avec les doigts – fumaient des pipes à long tuyau à l’abri de leurs porches. Ils se turent au passage des deux cavaliers et les suivirent longtemps du regard, certains en tirant sur le gros anneau qu’ils portaient à l’oreille gauche.

Verna guida Richard dans le labyrinthe de ruelles jusqu’à une avenue pavée plus large où elle s’arrêta et se retourna.

— Ces gens sont les Majendies. Leur pays, en forme de croissant, est couvert de forêts. Nous devons le traverser jusqu’à une des pointes du croissant. Ce peuple vénère les esprits. Les crânes que tu as vus en chemin, sont des sacrifices rituels…

» Les Majendies sont des païens et nous condamnons leurs croyances. Hélas, nous n’avons pas le pouvoir de les convertir. Tu devras faire ce qu’ils te demanderont. Sinon, nos têtes finiront dans la pyramide, ou en haut d’un des murs.

Richard ne daigna pas répondre, La sœur n’aurait pas le plaisir d’entendre sa voix, et encore moins de se quereller avec lui. Impassible, les mains sur le pommeau de sa selle, il soutint son regard jusqu’à ce qu’elle se décide à se détourner et à repartir.

Ils passèrent sous une arche et débouchèrent sur une nouvelle place. Un bon millier d’hommes vaquaient à leurs occupations. Eux aussi portaient des anneaux, mais à l’oreille droite. Armés d’épées courtes, une écharpe autour du cou, ils avaient le crâne rasé et aucun n’arborait de couvre-chef.

Au centre de la place, sur une plate-forme surélevée, d’autres Majendies étaient assis autour d’un gros poteau. Des joueurs de flûte ! C’était de là que venait la musique. Des femmes en noir les entouraient. Également assises, elles regardaient la foule, à l’inverse des musiciens.

Seule personne debout sur cette étrange scène, une grande femme au costume noir bouffant laissa glisser sa main le long du poteau où elle s’appuyait et saisit le bout de la cordelette accrochée à une cloche. Le regard rivé sur les deux étrangers, elle sonna une fois.

Verna tira sur les rênes de son cheval. Richard s’arrêta à côté d’elle. Sur la place, les Majendies se turent et les joueurs de flûte passèrent à une mélodie plus rythmée.

— C’était un avertissement destiné aux esprits de leurs ennemis, dit Verna. La cloche est aussi un appel pour tous les guerriers qui l’entendent. Et il n’y a que des guerriers autour de nous… Une fois les esprits avertis et les combattants alertés, il suffira qu’elle sonne la cloche une deuxième fois pour que nous mourions. (La sœur jeta un coup œil à Richard, qui ne broncha pas.) Un sacrifice rituel est en cours, pour apaiser les esprits…

Des guerriers approchèrent et leur prirent les rênes des mains. À cet instant, les femmes en noir se levèrent et commencèrent à danser au son des flûtes.

Très lentement, pour que tous le voient, Richard s’assura que l’Épée de Vérité coulissait bien dans son fourreau. Verna le foudroya du regard, lâcha un gros soupir et mit pied à terre. Quand elle se fut raclé plusieurs fois la gorge, agacée, le Sourcier consentit à descendre de cheval.

— Le territoire des Majendies, dit la sœur, entoure une étendue de marécages où vivent leurs ennemis. Des barbares encore plus sauvages qui ne nous permettraient pas de traverser leur pays et accepteraient encore moins de nous guider. Même si nous les évitions, nous serions perdus en moins d’une heure, et nos cadavres finiraient par pourrir dans la boue. Le seul moyen d’atteindre le Palais des Prophètes, de l’autre côté des marécages, est de longer le croissant de terre des Majendies. Notre destination se trouve entre les cornes du croissant, au-delà du territoire des barbares.

Verna jeta un coup d’œil à Richard pour s’assurer qu’il l’avait au moins écoutée.

— Les Majendies sont constamment en guerre contre leurs voisins. Pour traverser leur pays, nous devrons prouver que nous sommes leurs alliés. Les crânes appartiennent tous à des barbares sacrifiés en l’honneur des esprits majendies. Pour obtenir un droit de passage, nous devons apporter… hum… notre pierre à l’édifice. Tu me suis ? Les Majendies croient que ceux qui ont le don, et qui portent en eux, comme tous les hommes, la graine divine de la vie et de l’âme, ont un lien direct avec les esprits. Selon eux, si un jeune homme qui a le don contribue à leurs sacrifices, ça attire la grâce des dieux sur la tête de tous les membres de leur peuple. Chaque fois que nous faisons passer un de nos sujets, ils exigent qu’il tue au moins un de leurs ennemis. Ainsi – une sorte de bonus – ils s’assurent que les barbares détestent les sorciers. Et cette haine, toujours selon ces païens, interdit à leurs adversaires d’avoir accès au monde des esprits.

Autour d’eux, tous les hommes avaient dégainé leurs épées. Ils les posèrent devant eux, la pointe dirigée vers la grande femme en noir, s’agenouillèrent et inclinèrent leurs têtes chauves.

— La femme qui a sonné la cloche est la souveraine des Majendies. La Reine Mère, pour être précise. Liée aux esprits femelles, elle représente dans ce monde la déesse de la fertilité. Elle est aussi le réceptacle vivant de la graine divine dont je te parlais tout à l’heure…

Les danseuses formèrent une petite colonne, descendirent de la plateforme et se dirigèrent vers le Sourcier et sa compagne.

— La Reine Mère t’envoie ses émissaires pour te conduire au sacrifice rituel. Nous sommes chanceux ! S’ils n’avaient eu personne à tuer, il aurait fallu attendre qu’ils capturent un sauvage. Parfois, ça dure des semaines, voire des mois.

Richard ne sortit pas de son mutisme.

Verna tourna le dos aux femmes qui approchaient et se campa devant lui.

— Elles te conduiront au prisonnier et te demanderont de donner ta bénédiction. Refuser signifie que tu entends être sacrifié avant le sauvage. Essaie de jouer au petit malin et tu mourras. Compris ?

» La bénédiction consiste à embrasser le couteau sacré qu’on te présentera. Tu n’auras pas besoin de tuer la victime de tes propres mains. Bénir la lame suffit. Les Majendies se chargeront de l’exécution, mais tu devras y assister, pour que les esprits la voient à travers tes yeux. (Elle baissa le ton.) Les croyances de ces gens sont une obscénité à la face du Créateur.

Le Sourcier croisa les bras, le visage de marbre.

— Je sais que tu n’aimes pas ça, Richard, mais grâce à cet accord, nous sommes en paix avec les Majendies depuis trois mille ans. Si paradoxal que ça puisse paraître, cet arrangement a sauvé plus de vies qu’il en a coûté. Les sauvages nous combattent aussi, comprends-tu. Le palais et les autres zones civilisées de l’Ancien Monde sont victimes de raids féroces…

Rien d’étonnant à ça, pensa Richard.

Mais il garda cette réflexion pour lui.

Verna se plaça à son côté quand les femmes s’immobilisèrent devant eux. Toutes étaient corpulentes et très âgées, sans doute assez pour être grand-mères. Leurs tenues noires les dissimulaient entièrement, à l’exception de leurs mains et de leurs visages parcheminés.

De ses doigts déformés par les rhumatismes, l’une d’elles tira jusque sous son menton le col noir de sa robe et s’inclina devant Verna.

— Je te salue, toi qui marches avec la Lumière. Les sentinelles nous ont annoncé ta visite hier. T’avoir avec nous est un grand honneur, car un sacrifice est en cours. Bien que ta présence soit une surprise, les esprits seront comblés de recevoir la bénédiction.

La vieille femme, qui lui arrivait à peine au sternum, étudia Richard des pieds à la tête et se tourna de nouveau vers la sœur.

— Il a la magie ? Ce n’est pas un jeune garçon…

— Nous n’avions jamais ramené au palais quelqu’un de si âgé, répondit Verna. Mais il est exactement comme les autres.

— Trop vieux pour donner la bénédiction, lâcha la femme.

— Il a le don, comme les autres, insista Verna.

— Peut-être… Mais à son âge, il n’a pas besoin que quelqu’un tue à sa place. Il maniera lui-même le couteau. (Elle fit signe à une de ses compagnes.) Conduis-le sur le lieu du sacrifice.

La femme hocha la tête et fit signe à Richard de le suivre.

Verna tira discrètement sur la manche du jeune homme, qui sentit la magie jaillir de ses doigts, remonter le long de son bras et lui picoter désagréablement la peau, sous le Rada’Han.

— Richard, souffla-t-elle, ne t’avise pas d’abattre ta hache, cette fois. Tu n’as pas idée de ce que tu détruirais…

Le Sourcier soutint froidement le regard de la sœur. Puis il se détourna sans dire un mot.

La vieille femme rondouillarde le guida le long d’une ruelle boueuse, puis s’engagea dans une allée latérale encore plus étroite. Au bout, elle ouvrit puis franchir une porte si basse que Richard dut se plier en deux pour la suivre.

La pièce où ils entrèrent n’était pas meublée, à l’exception de plusieurs coffres bas recouverts de cuir qui servaient de support à des lampes à huile. Des tapis aux motifs intrigants, mais aux couleurs ternes, couvraient le sol.

Quatre hommes au crâne rasé étaient accroupis sur des carrés de carpette, de chaque côté d’un couloir obstrué par une tenture. De courtes lances aux pointes acérées reposaient sur leurs genoux. Au plafond, étonnamment haut, Richard vit danser des volutes de fumée de pipe.

Les quatre hommes se levèrent et saluèrent la femme en noir d’une obséquieuse révérence. Elle répondit d’un hochement de tête distrait, puis tira Richard en avant.

— Il détient la magie… Comme il est adulte, la Reine Mère a ordonné qu’il accomplisse le sacrifice de sa main. Pour le plus grand honneur des esprits…

Les guerriers s’inclinèrent, assurèrent que c’était une sage décision, et prièrent la femme de dire à la reine que ses volontés seraient scrupuleusement respectées.

Après leur avoir souhaité que tout se passe pour le mieux, l’émissaire royale gagna la porte, sortit et referma derrière elle.

Dès qu’elle fut partie, les guerriers, tout sourires, flanquèrent de grandes claques dans le dos du Sourcier. L’un d’eux le prit par l’épaule et désigna la lourde tenture.

— Tu es un sacré veinard, mon garçon ! s’exclama-t-il. Tu aimeras ce qu’on te réserve, crois-moi ! (Il sourit de nouveau, révélant qu’il lui manquait une dent de devant) Viens avec nous. Tu te régaleras ! Et si tu n’es pas encore un homme, tu vas en devenir un !

Les trois autres guerriers s’esclaffèrent avec leur camarade.

Ils écartèrent la tenture et prirent une lampe. Le « nouvel ami » de Richard le poussa gentiment dans le couloir.

La pièce suivante était identique à l’autre, hormis la fumée de pipe. Ils en traversèrent une enfilade, toutes identiques, jusqu’aux étranges tapis. Enfin, les guerriers s’accroupirent devant une ultime tenture, posèrent l’embout de leurs lances sur le sol, et, s’y appuyant, se tournèrent vers Richard.

— Ne te précipite pas, mon garçon… Si tu gardes la tête sur les épaules, tu vas te payer du bon temps !

Riant de cette plaisanterie énigmatique, ils écartèrent la tenture et entrèrent. Richard les suivit.

La petite pièce carrée au sol en terre battue avait un plafond haut de vingt pieds au moins. Une lucarne, en haut d’un mur, laissait filtrer une chiche lumière.

Le pot de chambre rangé dans un coin empuantissait l’atmosphère. La femme nue recroquevillée le plus loin possible de cette infection, au fond de la pièce, tenta en vain de s’enfoncer dans le mur. Les bras autour des genoux, elle les ramena contre sa poitrine.

Le visage et le corps sales et couverts de bleus, les cheveux emmêlés et crasseux, elle écarquilla les yeux de terreur dès qu’elle aperçut les quatre hommes. À leurs sourires lubriques, Richard devina qu’elle avait de bonnes raisons de les redouter.

Autour du cou, la malheureuse portait un lourd collier de fer relié par une chaîne à un anneau scellé dans le mur.

Les guerriers se répartirent dans la pièce, s’adossèrent au mur et s’accroupirent. Richard les imita, se plaçant à la droite de la prisonnière.

— Je veux parler aux esprits, dit-il. (Les Majendies le regardèrent, étonnés.) Je veux leur demander comment ils préfèrent que je procède…

— Il n’y a qu’un moyen de procéder, dit le guerrier à qui il manquait une dent. Couper la tête de cette garce ! Maintenant qu’elle a le collier autour du cou, c’est la seule façon de la sortir d’ici. Il faut séparer le crâne du corps, mon garçon.

— Peut-être, mais je veux quand même connaître les souhaits des esprits. Je tiens à les honorer.

Les guerriers se grattèrent le crâne, pensifs. Puis le « copain » de Richard eut un grand sourire.

— La Reine Mère et ses officiantes boivent du juka quand elles veulent s’adresser aux esprits. On pourrait aller t’en chercher…

— Bonne idée ! Je ne voudrais pour rien au monde saboter votre précieux sacrifice.

Un des guerriers se leva et sortit.

Les trois autres attendirent en silence en reluquant la prisonnière. Elle se recroquevilla davantage, mais braqua sur eux des yeux pleins de haine.

Un Majendie sortit de sa poche une pipe et un long bâtonnet. Quand ce dernier eut passé sur la flamme de la lampe, il s’en servit pour embraser le tabac. Un œil de maquignon sur la prisonnière, il exhala un petit nuage de fumée.

Richard croisa nonchalamment les mains, histoire que la droite ne soit pas trop loin de la garde de l’Épée de Vérité.

Le quatrième homme revint avec une chope fermée en terre cuite, décorée de symboles blancs et munie d’une petite ouverture au sommet.

— La Reine Mère t’envoie ce juka. Bois-le et tu pourras parier aux esprits. (L’homme posa le récipient devant Richard, tira de sa ceinture un énorme couteau à la poignée de malachite gravée de dessins obscènes et le lui tendit.) C’est la lame sacrée…

Richard prit l’arme et la glissa à sa ceinture.

Satisfait, le Majendie alla s’asseoir.

Le guerrier assis le plus près de la prisonnière semblait ravi que la Reine Mère ait fourni du juka. Il fit un clin d’œil au Sourcier, puis pointa sa lance entre les deux yeux de la femme.

— Ce magicien est venu t’offrir aux esprits, dit-il. Mais avant, il voudrait te faire un petit cadeau. Sa semence divine, espèce de veinarde ! (La femme ne réagit pas.) N’insulte pas les esprits ! Tu vas accepter son cadeau. Tout de suite !

Sans quitter son tortionnaire des yeux, la femme se coucha passivement sur le dos, écarta les jambes et défia Richard du regard. À l’évidence, elle savait que refuser de se plier aux désirs de ces hommes n’allait pas sans de terribles conséquences.

Le guerrier tendit le bras et lui « caressa » une cuisse de la pointe de sa lance. La malheureuse hurla et se plaqua contre le mur.

— Ne nous insulte pas ! cria le Majendie. Tu sais ce que nous voulons !

Il fit mine de frapper encore.

Richard ne broncha pas, mais ses doigts se refermèrent sur la garde de l’Épée de Vérité.

La prisonnière ne tenta pas d’arrêter le sang qui ruisselait sur sa cuisse. Se retournant, elle se mit à genoux, en appui sur les coudes, et offrit sa croupe à la concupiscence des mâles.

— Tu ne voudrais pas la voir en face pendant que tu la besognes, pas vrai ? dît le guerrier à la dent manquante. De plus, cette chienne mord si on la laisse faire. (Les autres hochèrent la tête, approbateurs.) Empale-la par-derrière en la tenant par les cheveux. Elle ne pourra pas jouer des mâchoires, et tu la besogneras à ta guise.

Les guerriers attendirent. Richard ne bougea pas d’un pouce.

— Vous ne comprenez pas, espèces de crétins ? cria la femme. Il ne veut pas se comporter comme un chien devant vous ! Le pauvre chéri est timide. Il refuse de vous montrer sa minuscule baguette magique !

Tous les regards rivés sur lui, Richard tenta de ne pas laisser voir la colère dont l’emplissait la magie de l’épée. Il devait se contrôler. Déchaîner le pouvoir dans cette pièce ne servirait à rien.

— Cette garce a peut-être raison, dit un des guerriers en flanquant un coup de coude amical à l’homme assis près de lui. C’est un jeunot ! Il ne doit pas avoir l’habitude qu’on le regarde en pleine action.

À un cheveu d’exploser, Richard se concentra pour tendre la main gauche sans qu’elle tremble. Il leva la chope de juka et la montra aux Majendies.

— Les esprits ont des choses importantes à me dire, déclara-t-il d’une voix qu’il parvint à garder égale.

Les sourires égrillards s’effacèrent. Ce « magicien » était beaucoup plus vieux que d’habitude. Les guerriers ne savaient rien de ses pouvoirs, mais son calme étrange les inquiétait.

— Nous devrions le laisser seul, dit un des hommes. Il pourra parler aux esprits, puis s’amuser avec la sauvage avant de la sacrifier. Nous t’attendrons dans la première pièce, mon garçon…

Un peu blêmes, les Majendies se levèrent et sortirent précipitamment.

Quand elle fut sûre qu’ils étaient assez loin, la femme releva la tête, se tordit le cou et cracha sur Richard.

Arquant le dos comme une chatte en chaleur, elle ondula lascivement de la croupe.

— Tu peux me monter comme une chienne, à présent, espèce de porc ! Montre que tu es capable de violer une femme enchaînée ! Tu ne pourras pas me faire pire que tes amis. (Elle cracha de nouveau.) Une bande de pourceaux !

Richard tendit une jambe, lui posa un pied sur les hanches et la força à baisser les fesses.

— Je ne suis pas comme ces types…

La prisonnière roula sur le dos. Bras et jambes écartés, elle lui jeta un regard méprisant.

— Tu veux me prendre comme ça, pour prouver que tu es meilleur qu’eux ?

— Arrête ce jeu ! Je ne suis pas là pour ça.

La femme se rassit, le menton levé, mais les yeux ronds de terreur.

— Alors, tu vas me tuer ?

Le Sourcier s’avisa qu’il serrait toujours la garde de son épée. À coup sûr, il avait cessé de mimer le calme…

Il lâcha l’arme et attendit que la colère l’abandonne. Puis il vida la chope de juka dans la poussière.

— Je vais te tirer de là. Mon nom est Richard. Comment t’appelles-tu ?

— Qu’est-ce ça peut te faire ?

— Eh bien, si je dois te sauver, il faut que je te donne un nom. t’appeler « femme » ne me dit rien.

— Je suis Du Chaillu…

— Dois-je t’appeler Du ? Ou Chaillu ? Ou Du Chaillu ?

— Du Chaillu…, fit la prisonnière, perplexe. C’est ça, mon nom.

— Parfait… Du Chaillu, à quel peuple appartiens-tu ?

— Nous sommes les Baka Ban Mana.

— Et ça a un sens ?

— Oui. Ça veut dire « Ceux qui n’ont pas de maître ».

— Un nom qui te va comme un gant… Tu n’as pas l’air d’être le genre de femme qui se laisse dominer…

— Tu dis ça, mais je suis sûre que tu as l’intention de me monter, comme les autres.

— Non. Oublie cette histoire ! Je vais te sortir de là, et te ramener aux tiens.

— Aucun prisonnier des Majendies n’est jamais revenu chez nous.

— Dans ce cas, tu seras la première…

Richard dégaina son épée. Du Chaillu se plaqua contre le mur, les yeux fermés.

— Ne t’inquiète pas, dit le Sourcier, comprenant qu’elle se méprenait sur ses intentions. Je ne te ferai pas de mal. Mais il faut que je te débarrasse de ce collier.

Du Chaillu recula encore un peu. Puis, honteuse de battre en retraite, elle avança… et cracha sur Richard.

— Tu vas me couper la tête ! Tu mens pour que je me laisse faire…

D’un revers de la manche, Richard essuya la salive qui dégoulinait sur son front.

— Je ne te ferai pas de mal, assura-t-il en posant une main sur l’épaule de la femme. Il faut t’enlever ce collier. Sinon, comment te sortir d’ici ? Me laisseras-tu agir ?

— Une épée ne peut pas couper du fer.

— Mais la magie, oui…

Du Chaillu ferma les yeux et retint son souffle quand il lui passa un bras autour des épaules et la fit rouler sur ses genoux, visage en avant. Très doucement, il plaça la pointe de l’épée sur le cou de la prisonnière. L’arme pouvait couper du fer, il le savait d’expérience. La magie l’aiderait…

Du Chaillu ne broncha pas quand il glissa la lame entre le collier et sa peau.

Soudain, elle attaqua. Lui saisissant le bras gauche, elle ouvrit la bouche et la referma sur la peau tendre de la saignée du coude.

Richard se pétrifia. S’il essayait de se dégager, elle lui déchirerait sûrement les chairs jusqu’à l’os.

Sa main droite tenant toujours l’épée, il utilisa la colère de la magie pour bloquer la douleur.

Avec la position de la lame, un simple coup de poignet suffirait à égorger Du Chaillu. Un moyen radical de sauver son bras ! Et d’échapper à la torture de ses dents de louve…

— Du Chaillu, souffla-t-il, lâche-moi. Je ne te veux pas de mal. Sinon, un simple geste, et tu auras la gorge ouverte. Réfléchis un peu…

Après un long moment, la femme rouvrit la bouche – sans lâcher le bras du Sourcier.

— Pourquoi veux-tu m’aider ? demanda-t-elle.

Richard décida de prendre un risque. Lâchant l’épée, il porta la main droite à son cou.

— Moi aussi, je suis prisonnier, dit-il en touchant son collier. Et je déteste ça. Hélas, je ne peux pas me libérer. Mais toi, je t’aiderai…

Du Chaillu lui libéra enfin le bras et releva la tête.

— Mais tu as des pouvoirs magiques…

— C’est pour ça qu’on m’a capturé. La femme qui m’accompagne veut m’emmener dans un endroit appelé le Palais des Prophètes. Si je n’y vais pas, elle dit que la magie me tuera.

— Tu voyages avec une des sorcières qui habitent dans la grande maison de pierre blanche ?

— Ce n’est pas une sorcière, mais elle a des pouvoirs. Le collier m’oblige à la suivre…

— Si tu me sauves, les Majendies ne te laisseront pas traverser leur territoire.

— Mais si je te ramène à ton peuple, tu le convaincras sans doute de nous laisser traverser le tien. Et tu nous serviras peut-être même de guide…

— On pourra tuer la sorcière, si tu veux…

— Non. Je ne tue personne, sauf quand je ne peux pas faire autrement. De toute façon, ça ne me servirait à rien. Je dois aller au palais. Sinon, je suis fichu.

Du Chaillu prit soudain une décision.

— Je ne sais pas si tu dis la vérité, ou si tu as l’intention de m’égorger. (Elle lui massa gentiment le bras, là où étaient imprimées ses dents.) Mais de toute façon, j’étais condamnée… Si tu me tues, ces porcs ne viendront plus me labourer. Et si tu ne mens pas, je serai libre. Mais nous devrons encore fuir le territoire des Majendies.

— J’ai un plan, fit Richard. On pourra au moins essayer…

— Si tu me tuais, les Majendies te laisseraient passer. Ne crains-tu pas la mort ?

— Si… Mais j’ai encore plus peur de passer le reste de ma vie à regretter de ne pas t’avoir secourue.

— Tu as peut-être des pouvoirs, mais pas un gros cerveau. Un homme intelligent choisirait la sécurité.

— Je suis le Sourcier…

— Le quoi ?

— C’est une longue histoire… Mais ça signifie que je dois toujours faire le bien et agir au nom de la vérité. Mon arme est magique et elle m’aide. On l’appelle l’Épée de Vérité.

Du Chaillu reposa sa tête sur les genoux de Richard.

— Alors, essaye… Ou tue-moi, si tu préfères. De toute façon, j’étais déjà morte…

— Ne bouge pas, dit Richard en tapotant gentiment le dos de la Baka Ban Mana.

Il passa les doigts de sa main gauche sous le collier et le tint fermement. De la droite, celle où la magie coulait à flots, il releva violemment l’épée.

Le fer éclata et des échardes chauffées au rouge ricochèrent sur les murs.

Dans un silence de mort, Richard espéra qu’un des fragments n’avait pas ouvert la gorge de la prisonnière.

Du Chaillu se leva d’un bond. Portant les mains à son cou, elle ne trouva aucune blessure et sourit de toutes ses dents.

— Le collier n’est plus là et j’ai toujours la tête sur les épaules !

— Je te l’avais bien dit, fit mine de s’indigner Richard. À présent, il faut filer d’ici. Viens !

Ils traversèrent l’enfilade de pièces. Devant l’entrée de celle où attendaient les guerriers, Richard mit un doigt sur ses lèvres et fit signe à Du Chaillu de ne plus bouger. Têtue, elle croisa les bras.

— Je viens avec toi ! Tu as promis de ne pas m’abandonner.

— Je vais essayer de te trouver des vêtements… On ne peut pas sortir si tu restes comme ça.

Du Chaillu décroisa les bras et s’inspecta d’un œil ravi.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui te gêne ? Je suis plutôt jolie à regarder, non ? Beaucoup d’hommes m’ont dit que…

— Mais qu’ont donc les gens ! grogna Richard. Depuis que j’ai quitté mon pays, en automne, j’ai vu plus de personnes nues que durant toute ma vie. Et aucune n’a semblé le moins du monde embarra…

— Tu es tout rouge ! coupa Du Chaillu.

— Attends-moi ici !

— D’accord, si ça peut te faire plaisir.

Quand Richard écarta la tenture, les quatre guerriers se levèrent d’un bond. Il ne leur laissa pas le temps de l’interroger.

— Où sont les vêtements de la prisonnière ?

— Ses vêtements ? Pour quoi faire ?

— Parce que les esprits l’exigent ! Oseriez-vous les contredire ? Les habits, vite !

Terrorisés, les Majendies coururent vers les coffres, posèrent les lampes à coté, soulevèrent les couvercles et commencèrent à fouiller frénétiquement.

— J’ai trouvé ! cria l’un deux en exhibant une robe en lin ornée de lanières de tissu multicolores et une ceinture en peau de daim.

Richard prit les vêtements.

— Attendez ici ! ordonna-t-il aux quatre guerriers.

Il ramassa un morceau de tissu jeté sur le sol par les types dans leur hâte à dénicher la robe.

Dans l’autre pièce, Du Chaillu n’avait pas bougé d’un pouce. Quand elle vit ce que tenait Richard, elle poussa un petit cri. S’emparant des vêtements, elle les serra contre son cœur, des larmes dans les yeux.

— Ma robe de prière !

Dressée sur la pointe des pieds, elle jeta les bras autour du cou du Sourcier et le couvrit de baisers.

— C’est bon… c’est bon…, marmonna le jeune homme en se dégageant. Habille-toi vite !

Radieuse, Du Chaillu enfila la robe. Sous les bras et en travers des épaules, les bandes de tissu coloré étaient simplement passées dans de petits trous et tenues en place par un nœud. La robe, fort seyante, arrivait aux genoux de la jeune femme. Pendant qu’elle fermait sa ceinture, Richard vit le sang qui ruisselait le long de sa jambe. La blessure infligée par le type à la lance… Le Sourcier s’accroupit devant Du Chaillu.

— Soulève ta robe !

La Baka Ban Mana baissa les yeux sur son sauveur, le front plissé.

— Il faudrait savoir ce que tu veux ! Je viens de cacher mon joli corps, et voilà que tu désires le revoir !

Richard brandit son morceau de tissu.

— Tu saignes ! Je vais te faire un pansement.

En gloussant, Du Chaillu souleva sa robe et tendit sa jambe blessée, la faisant tourner lascivement.

Quand le Sourcier lui eut enveloppé la cuisse et noué le garrot de fortune, elle cria de douleur. Convaincu qu’elle méritait cette leçon, il s’excusa néanmoins.

La prenant par la main, il la tira dans la dernière pièce, qu’il traversa en trombe en criant aux guerriers de ne pas bouger de là.

Sans lâcher sa protégée, il courut dans le labyrinthe de ruelles et retrouva sans trop de mal la place où attendait Verna.

Apercevant la tête des trois chevaux, il se fraya sans douceur un passage parmi les guerriers.

La pierre des larmes - Tome 2
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